Le P'tit Marché Paysan

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Aranciadoc

Agrumes, grenades, amandes
Palagonia (Sicile)


Francesco et Sebastiano ont développé l’agrumeraie familiale grâce à la vente en direct, que ce soit en Italie ou à l’étranger. Des agrumes marqués par un territoire singulier, situé en contrebas de l’Etna, dans l’est de la Sicile. Visite…

C’est une belle histoire familiale. D’abord, il y a eu le grand-père Francesco, qui a planté les premiers agrumes il y a une soixantaine d’années. Puis le père, Giuseppe, a suivi. Ils étaient à la tête de la plus ancienne agrumeraie de Palagonia, une petite ville située à une heure de Catane, célèbre pour ses oranges, notamment sanguines.

Aujourd’hui, ce sont les deux fils, Francesco et Sebastiano, qui sont à la tête de l’entreprise qu’ils ont nommée Aranciadoc. «Arancia» pour «orange», «doc» pour l’abréviation de «Denominazione di origine controllata», l’équivalent de notre IGP (Indication géographique protégée) –un clin d’œil, «car c’est top!», sourit Sebastiano. D’ailleurs, leur exploitation est en IGP pour les oranges sanguines.

Fatigués par les lois du marché et les pressions financières exercées par les intermédiaires, les deux frères ont pris les choses en main. Depuis une quinzaine d’années, ils ont développé la vente en direct –dans toute l’Italie et ailleurs en Europe, grâce au bouche-à-oreille et à internet. Ils s’occupent de tout, de la culture à la récolte puis à l’expédition.

Photo Aranciadoc

Toute une collection d’agrumes

Au loin, derrière les deux frères, l’Etna crache ses fumeroles blanches dans le ciel bleu. A leurs pieds, s’étend une immense parcelle de leur «azienda», leur ferme. «Notre plus grande extension est ici, même si nous avons d’autres parcelles ailleurs. Nous avons cette parcelle d’amandiers, d’environ 7 hectares», sourit Francesco, le plus volubile des deux –amandes disponibles elles aussi au P’tit Marché Paysan cette année.

Il continue à énumérer: «Dans la partie la plus haute, nous avons les oranges Navel et les clémentines, dont nous récolterons les premiers fruits fin octobre, début novembre. Puis les citrons, les pomelos, l’orange Tarocco précoce, qui arrivent tous en novembre. En bas, nous avons une autre Navel que nous récolterons en décembre-janvier. Puis viendront les Tarocco et Moro tardives, qui mûrissent après février, et la mandarine Ciaculli, à l’arôme et à la saveur inimitables.» Sans oublier les cédrats, bergamotes et citrons caviar, et les grenades avec leurs graines juteuses et colorées. Plus de 100.000 arbres au total.

En contrebas de l’Etna

«Le secteur de Palagonia est connu pour sa production d’agrumes. Le sol, alternant entre sableux, légèrement calcaire et légèrement argileux, est favorable à leur production», reprend Francesco. Surtout, il y a le climat, intimement lié à l’Etna. Le volcan actif le plus haut d’Europe culmine à 3.369 mètres, à une quarantaine de kilomètres de là. «Il y a beaucoup de variations de température entre le jour et la nuit, parfois de 15 à 20 degrés.»

Ce choc thermique est fondamental dans la culture des agrumes. «Il favorise la maturation des fruits et surtout la pigmentation intérieure des Moro et des Tarocco, variétés tardives, au rouge si intense. Celles qui poussent à Palerme, Enna, Trapani ou Messine ne sont pas aussi colorées.» D’où l’IGP.

Nous sommes fin septembre. Les deux frères examinent les fruits qu’ils récolteront dans un mois et demi, ravis de leur qualité. «Ils semblent bons.» Ils coupent en deux une mandarine et une orange. Le goût et le parfum sont là, incroyables. Ne manque que le sucre qui viendra avec la maturation.

De gros investissements

Un bémol toutefois: «La production générale est inférieure à celle de l’année dernière.» Chaque pied produit normalement de 100 à 200 kilos par saison. Pas cette année. «On sera plutôt entre 60 à 80 kilos.» En cause: le manque d’eau. «Il n’a pas plu ici depuis juin de l’année dernière.»

«Tout est en goutte-à-goutte», continue à expliquer Francesco. «Nous nous sommes agrandis et avons innové. Nous avons tout fait nous-mêmes.» Un gros investissement pendant des années, investissement financier, mais aussi en labeur, en énergie et en sueur.

«Et des sacrifices», n’hésite pas à dire Francesco. Sebastiano acquiesce. Si la récolte se fait entre fin octobre et avril, le travail est présent toute l’année: les plantations en avril et mai, qui donneront leurs premiers fruits quatre ans plus tard, l’extension et la maintenance du système de goutte-à-goutte, l’entretien des arbres, des fruits et de la terre…

Des pointes à 50 degrés

Difficile, surtout l’été. «Nous commençons à 5 heures du matin et sommes dans les champs jusqu’à 17 heures. L’été, ici, il fait 47 ou 48 degrés, avec des pointes à 50 degrés.»

Grâce à une aide financière de la région, ils ont investi dans des bassins de rétention, qu’ils remplissent l’hiver avec l’eau de leurs puits, situés à 25 ou 30 mètres de profondeur, et celle qu’ils achètent. «Sans tout cela, nous serions morts, car il n’y a plus beaucoup d’eau.»

Le prix dépend du calibre et des frais de production. «Cette année, il y a moins de fruits, donc la récolte prendra beaucoup plus de temps. En plus, les charges (eau, électricité) vont entraîner une augmentation des tarifs.»

Leur grosse ferme familiale emploie aujourd’hui 12 salariés à l’année, jusqu’à 45 pendant les près de six mois de récolte.

100% nature

Les deux frères sont heureux et fiers d’avoir «réussi à valoriser leurs agrumes auprès des consommateurs, tant en Italie qu’à l’étranger». Afin de garantir une fraîcheur maximale, «nous récoltons les fruits seulement après réception de la commande, minimisant ainsi le stock en entrepôt». Cela veut dire que les oranges peuvent se conserver pendant un mois à la maison, au frais.

Fiers de leur azienda, certifiée en Agriculture biologique, même s’ils ne vendent pas leurs produits en bio en raison du «long processus bureaucratique, avec tous les documents à fournir». C’est pour cela qu’ils préfèrent parler de «100% nature». Francesco reprend: «C’est vrai, il peut arriver que vous trouviez des oranges pourries. Mais c’est parce que nos agrumes ne subissent aucun traitement anti-pourrissement.» Un bien faible prix à payer…

Fiers de proposer leurs fruits directement du producteur au consommateur, «de nos arbres à votre maison». D’avoir réussi à «réduire les coûts de la longue chaîne d’approvisionnement pour offrir un produit unique, au goût authentique, à un prix compétitif». L’engouement pour leurs agrumes leur a même permis de se rendre compte, mieux encore, des «particularités» et de la «singularité» de leur territoire. Leurs «nombreux sacrifices» ne sont donc pas vains.

Giuseppe, le père, les rejoint dans le grand hangar où sont triés puis expédiés les fruits. Son sourire et le regard qu’il pose sur les deux hommes  en dit long sur le chemin parcouru depuis leur installation, sur leur travail qui a fait prospérer l’exploitation. Avec, toujours en ligne de mire, une qualité exceptionnelle.

Françoise Digel, pour Le P’tit Marché Paysan
Palagonia, Sicile, septembre 2024

Photos Aranciadoc