Leonardo Borsellino
Agrumes
Ribera (Sicile)
«Ces arbres racontent mon histoire et celle de ma famille.» Dans le sud-ouest de la Sicile, Leonardo Borsellino cultive des olives et le trésor de la région: les fameuses oranges de Ribera. Petit voyage en Sicile…
C’est là que tout a commencé pour la famille Borsellino. Là où Giuseppe, l’arrière grand-père de Leonardo, a planté un olivier présent aujourd’hui encore sur ce flanc de colline situé au sud de la ville de Ribera, témoignage d’une riche histoire familiale. Un Nocellara del Belice, dont la culture remonte à l’époque grecque de la Sicile. Ici, le début de l’oliveraie familiale.
Aujourd’hui, Leonardo Borsellino, 44 ans, cultive cinq variétés différentes: la Gioconda et l’Uovo di Piccione pour la consommation de table, un descendant du Nocellara del Belice de son arrière grand-père, avec la Blancollila et la Cerasuola pour l’huile qu’il extrait à froid dans un moulin coopératif. De l’huile bio, excellente. «Je stocke toute mon huile dans mon propre silo au moulin et je la commercialise ensuite tout au long de l’année.»
«Avant, dans l’Antiquité, on pensait que planter différentes variétés dans le même sol augmentait la productivité. En fait, c’est vrai, car cela facilite la pollinisation», explique l’agriculteur.
Leonardo en cultive 5 hectares, qu’il récolte chaque année à partir de la mi-octobre. Un travail de «12 à 14 jours pour cinq personnes», explique-t-il, avant de se retourner et d’embrasser l’oliveraie du regard. «Ces arbres racontent mon histoire et celle de ma famille.»
«Ribera, ville de l’orange»
Mais si Leonardo Borsellino est surtout connu au P’tit Marché Paysan, si la ville de Ribera est surtout reconnue en Sicile et au-delà, c’est pour ses agrumes. «Città delle arance», «Ville de l’orange», annoncent d’immenses panneaux aux deux sorties de la route nationale 115, qui longe la côte sud de l’île. Des oranges qui bénéficient d’une Appellation d’origine protégée depuis 2011 –les seules au monde à bénéficier d’une AOP.
Plus jeune, Leonardo a quitté la région pour des études d’économie. Une fois son diplôme en poche, il n’est pas parti ailleurs, comme de nombreux Siciliens. Il a repris la direction de Ribera, répondant à l’appel de la terre familiale, à son amour du terroir et à l’envie d’une agriculture respectueuse de l’environnement.
Quand il a acheté sa propre parcelle il y a une quinzaine d’années, aux portes de Ribera, l’immense terrain était nu. «J’ai tout planté: orangers, citronniers, pamplemoussiers…», raconte Leonardo. Les arbres de son père, plus anciens, sont situés sur une autre parcelle.
Au total, il cultive 3 hectares d’oranges, 2 hectares de citrons, 1 hectare de pamplemousses roses et 1 hectare de mandarines.
Trois variétés d’orangesLeonardo Borsellino cultive la Washington Navel, bien sûr. Originaire des Etats-Unis, introduite en Sicile dans la première moitié du XXe siècle, cette orange est devenue «la» spécialité du secteur de Ribera. Elle doit son nom, «navel», à son nombril plus marqué que d’autres variétés. Récoltée à partir du 10 décembre, elle a une peau épaisse, une belle saveur sucrée, est juteuse et n’a pas de pépin. Elle est spécialement riche en vitamine C. Elle est bonne à manger telle quelle, en jus et peut être utilisée en cuisine. Il cultive aussi des Navelina (variété précoce, mûre à partir de la mi-novembre) et des Lane Late (variété tardive, récoltée à partir de début mars). |
Ce que ce secteur a de spécial? «Nous avons la chance d’avoir un territoire généreux et un ensoleillement exceptionnel. C’est un excellent terroir, qui donne un goût vraiment unique. Nous, agriculteurs, ne faisons que 5% du travail final», résume-t-il.
Goutte-à-goutte et photovoltaïque
Derrière ses paroles modestes se cachent un savoir-faire et un véritable engagement environnemental, lui qui s’est installé en 2006. En agriculture biologique pour «préserver la biodiversité de notre territoire».
Depuis, il ne cesse de pousser sa démarche. Il y a trois ans, il a acheté un terrain couvert de béton au bout de sa parcelle. Non pas pour y planter de nouveaux arbres –ce qui était impossible vu la nature du terrain–, mais pour y implanter des panneaux photovoltaïques. Objectif: être autonome en énergie. «Je suis 100% green», clame-t-il tout sourire, fier de son apport «vert» à sa terre, à la Terre de manière plus globale.
Il produit là 100 kilowatts, qui alimentent l’électricité de la maison qu’il est en train de restaurer et surtout ses pompes d’irrigation. A côté du vieux puits historique, son système de goutte-à-goutte est totalement enterré «pour éviter l’évaporation et économiser l’eau.» Ses sols à lui sont argileux, avec du sable. «L’argile maintient l’humidité du sol plus longtemps.»
L’eau, un bien tellement précieux en Sicile. La plus grande île de la Méditerranée est aussi l’une des régions en Europe les plus touchées par le dérèglement climatique. Les sécheresses se succèdent. «Les exploitations qui n’ont pas de réserves d’eau souffrent», explique Leonardo. Lui a installé une réserve artificielle qui lui permet d’irriguer. «Grâce à ça, je n’ai pas beaucoup de dégâts.»
Typiquement sicilien
«En Sicile, nous avons les montagnes, le volcan et la mer. Nous avons tout. Notre paysage est magnifique, notre territoire est magnifique», s’enthousiasme Leonardo. C’est donc tout naturellement qu’il rénove entièrement l’ancienne maison implantée à l’entrée de son agrumeraie avec des matériaux traditionnels, typiques de Sicile.
«Cette maison a été laissée à l’abandon pendant plus de trente ans à cause d’un problème d’héritage», raconte-t-il. Aujourd’hui, les artisans s’affairent dans la vieille bâtisse pour lui donner une nouvelle vie. Leonardo a décidé de la transformer en location pour touristes.
«Mon objectif est de créer un environnement typiquement sicilien respectant nos traditions, notre culture, qui est vraiment riche.» Enrichie au fil des siècles, glisse-t-il au passage, «par les cultures les plus diverses, des Normands aux Arabes».
Une vision à 360°
L’entrée de la maison, majestueuse avec ses voûtes en hauteur, s’ouvrent sur plusieurs salons et une cuisine. Un vieil escalier, dont il va conserver les veilles tomettes et les nez de marche en bois, mènent aux deux étages et leurs chambres, chacune avec sa salle de bain.
Les terrasses sur les toits plats, tout autour de la maison, offrent une vision à 360° : les agrumes à ses pieds, ainsi que le magnifique village de Caltabellotta blotti en haut de la montagne, vieux de plus de 2000 ans au nord, la ville de Ribera à l’est, les collines d’orangers et d’oliviers et la mer Méditerranée au sud et à l’ouest.
Les travaux avancent. Les artisans couvrent les multiples terrasses de tomettes fabriquées à l’ancienne. «Elles sont fabriquées à la main, avec de l’argile, puis séchées.»
A l’intérieur, les murs des salles de bain sont recouverts de faïences fabriquées dans la région de Messine. Elles sont toutes peintes à la main, elles aussi, avec des motifs traditionnels siciliens, chaque ensemble étant signé par l’artisan d’art qui les a créées.
Le fruit de quatre générations
Leonardo est fier de son investissement et de son exploitation. «Elle vaut beaucoup car elle est toute proche de la ville et est située au bord d’une bonne route –contrairement à de nombreuses zones où les routes sont en ruine–. Et aussi parce qu’il y a cette maison et sa belle salle de bain de la fin du XIXe siècle.»
Le chemin parcouru depuis les premiers arbres de Giuseppe, l’arrière grand-père, est grand. Leonardo, le grand-père, et Antonino, le père, ont chacun apporté leurs pierres à l’édifice et leurs plantations sur les terrains.
Puis Leonardo a pris le relais. Amoureux de la terre, de ses terres, de son terroir, de son territoire. Avec l’espoir que l’histoire familiale se perpétue. «Adele, ma fille de 10 ans, et Umberto, mon fils de 7 ans, aiment être avec moi dans la nature. Ils s’amusent beaucoup», sourit-il. «Ils disent qu’ils veulent continuer à faire mon travail.»
«L’agriculture est un travail qui prend non seulement votre temps, mais aussi votre cœur. Il est bon de savoir qu’après vous, quelqu’un récoltera vos fruits.»
Françoise Digel, pour Le P’tit Marché Paysan
Ribera, Sicile, septembre 2024